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Photo du rédacteurSteve Moradel

Dérèglement médiatique


Média

En 2016, l’éditorialiste Roger Cohen écrivait dans le New York Times un texte d’une rare lucidité sur la fin de la vérité, dont voici un court extrait : « Les alertes sur le danger à venir ont l’air des derniers gémissements des profiteurs d’un système décadent, en train de se désagréger. La réponse est dans le mouvement. Le mensonge est la nouvelle vérité. La chorégraphie est plus importante que le contenu. Le monde est sens dessus dessous. »


Cet extrait au souffle prophétique met en lumière des excès que beaucoup n’ont pas su ou voulu entendre. Il rappelle qu’à maintes reprises, les mensonges se déguisent en vérités et se parent de leurs plus beaux atours. Ils se dissolvent dans les médias, qui trop souvent délaissent la rigueur de l’information au profit de l’opinion, et offrent un terrain fertile à la manipulation. Les fausses vérités se répandent, et ceux qui les répandent s’arrogent désormais la légitimité de la vérité elle-même.


Malgré la présence de l’Arcom, l’autorité française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, il est évident que cet organisme peine à faire face à l’ampleur des défis posés par cette époque saturée de flux informationnels et en perpétuelle transformation. Les médias traditionnels, autrefois symboles de fiabilité, sont aujourd’hui pris dans une crise de confiance qui s’étend au-delà de leurs murs. Dans ce contexte, les réseaux sociaux, souvent pointés du doigt pour leur rôle dans la diffusion de fausses nouvelles, soulèvent une question majeure : pourquoi les médias établis ne font-ils pas preuve de rigueur et d’un engagement renouvelé envers l’objectivité ?


Or, au-delà de la « vérité » — qui n’est jamais qu’une construction fragile — c’est la véracité des faits eux-mêmes qui doit interroger. Bien sûr, les médias d’opinion ont toujours existé. Mais aujourd’hui, il devient impératif de comprendre jusqu’à quel point cette prise de position militante déforme les faits et trahit les fondements éthiques énoncés dans la Charte de Munich. Les journalistes, porteurs d’une responsabilité civique, doivent croiser les sources, analyser les faits et les mettre en perspective pour éviter les biais et les distorsions issues de leurs propres prismes cognitifs.


Dans un paysage médiatique de plus en plus polarisé, il devient essentiel de ne pas confondre les récits dissonants avec du complotisme. Les voix qui s’élèvent pour questionner l’ordre établi ou apporter des perspectives différentes ne devraient pas être étouffées sous le prétexte facile de la suspicion. Car c’est là toute la richesse du débat contradictoire : il ne peut se construire qu’à partir de différences réelles, de regards multiples. Un débat où chacun pense la même chose n’est plus un débat ; c’est un écho, une répétition, un murmure qui conforte sans jamais déranger.


Il suffit de se rappeler la période qui a précédé la guerre en Irak, lorsque certains journalistes avaient osé remettre en question les affirmations des gouvernements américain et britannique sur l’existence d’armes de destruction massive. Ceux-là, souvent étiquetés comme « complotistes », avaient pointé du doigt les failles et les manipulations dans les discours officiels. Le temps leur a donné raison, révélant que leurs doutes étaient fondés et que leur scepticisme avait permis de mettre en lumière des réalités que le monde méconnaissait encore.


La désinformation, celle qui manipule délibérément et fausse la réalité, doit bien entendu être combattue avec rigueur et discernement. Mais il faut aussi reconnaître que la divergence d’opinions est le socle même de l’esprit critique, un fondement précieux et fragile. Toute opinion divergente ne peut être cataloguée comme suspecte ou fallacieuse ; c’est précisément ce jeu d’idées contradictoires, de confrontations d’analyses et de nuances, qui enrichit la compréhension du monde. Restreindre la pensée à un seul récit officiel reviendrait à appauvrir l’intelligence collective, à tronquer le réel de sa complexité.


Hélas, cette exigence de rigueur semble s’être dissipée dans les brumes de l’immédiateté. Après la guerre, la presse se voulait le garant de la liberté d’expression ; malgré ses limites, elle incarnait une pluralité et une diversité d’opinions. La ligne éditoriale, bien que parfois orientée, n’avait pas la connotation partisane que l’on observe aujourd’hui. La manière dont l’information est traitée ces dernières années en France devient alors un sujet de questionnement légitime.


La partialité de certains médias apparaît flagrante, révélant des manquements qui minent la confiance et appellent à une remise en question profonde. Sans une véritable exigence de rigueur et de transparence, les médias traditionnels risquent de perdre leur statut de sources fiables et référentes. Dans un contexte où le besoin de pluralité et de liberté d’opinion est plus fort que jamais, les plateformes et réseaux sociaux, malgré leurs propres défauts, pourraient incarner les médias de demain. Ils deviennent, pour beaucoup, un espace de refuge et de recherche de perspectives nouvelles, là où les médias établis peinent à renouveler leur engagement envers une information authentique. Si les médias traditionnels n’opèrent pas un sursaut éthique, ce basculement vers les réseaux sociaux et les plateformes pourrait redéfinir durablement le paysage de l’information, élevant ces nouvelles voix au rang de véritables piliers de la perception publique.

Crédit 📸 : Pixabay



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