Tesla face au réel
- Steve Moradel
- 22 mars
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 mars
Entre janvier et février 2025, les ventes ont chuté de 70 % en Allemagne, de 45 % en France, en Espagne, en Suède. Le Royaume-Uni s’en sort légèrement mieux, mais dans un contexte fiscal très spécifique. Ailleurs, la baisse est nette, généralisée.
On peut y voir un simple coup d’arrêt. Ce serait une erreur. Depuis des années, j’alerte sur la survalorisation persistante d’une partie des grandes entreprises technologiques américaines. Tesla n’a pas échappé à cette dynamique. Pendant longtemps, l’entreprise a été portée par un récit : un produit à part, une avance technologique, une figure charismatique aux commandes. Mais les récits ne suffisent plus à soutenir des capitalisations massives

L’image d’Elon Musk, ses déclarations, ses provocations, sa gestion de X, ont un impact réel, en particulier en Europe, où le rejet est de plus en plus visible. Beaucoup refusent désormais d’associer un choix de consommation à ce qu’il incarne politiquement.
Ce rejet s’est parfois exprimé de façon violente. En Allemagne et en France, plusieurs véhicules Tesla ont été incendiés ces derniers mois. Ces actes restent isolés, mais leur portée symbolique est forte. Pour certains, Tesla ne représente plus simplement une marque : c’est devenu un signal à contester.
Mais ce rejet ne suffit pas à expliquer la chute des ventes. Le problème est industriel.
Tesla continue de proposer des modèles chers, dans un marché qui se déplace vers des véhicules électriques plus accessibles. Dans cette zone laissée ouverte, des constructeurs chinois comme BYD, MG, XPeng ou Nio s’engouffrent. Ils produisent rapidement, à grande échelle, et à des prix que Tesla ne peut suivre sans compresser fortement ses marges.
À cela s’ajoute un contexte macroéconomique défavorable : retrait des aides publiques dans plusieurs pays, inflation persistante, hausse du coût du crédit. Et sur le plan produit, Tesla peine à livrer ce qu’elle annonce depuis des années. Toujours pas de modèle abordable lancé. Le Cybertruck reste marginal. La conduite autonome intégrale se fait attendre.
La conséquence est logique : en un an, Tesla a perdu plus de 300 milliards de dollars de capitalisation boursière. Le titre décroche, car les promesses ne compensent plus l’écart entre les projections et les faits.
Cette défiance dépasse le marché. Elle gagne aussi certains investisseurs historiques. Ross Gerber, longtemps l’un des soutiens publics les plus visibles de Tesla, a récemment pris ses distances. Il critique la gestion actuelle, l’absence de gouvernance indépendante, et ce qu’il considère comme un effacement progressif du projet initial. D’autres actionnaires expriment les mêmes réserves. Pas sur la technologie, mais sur la stratégie.
Et pourtant, Tesla reste une entreprise solide. Elle est toujours rentable. Son implantation est forte aux États-Unis, où son écosystème (véhicules, bornes, software, service) reste cohérent et bien intégré. Elle dispose de plus de 20 milliards de dollars de trésorerie, d’une rentabilité nette, et d’un avantage d’échelle qui reste significatif.
Elle tire aussi des revenus stables et peu visibles de la vente de crédits carbone à d’autres constructeurs. Ces transferts réglementaires lui rapportent plus d’un milliard de dollars par an, sans production supplémentaire. Ce levier reste utile pour maintenir une base de cash disponible.
Mais l’époque où Tesla était intouchable semble révolue.
L’entreprise n’est pas en crise au sens strict. Elle n’est pas en faillite, ni menacée à court terme. Elle a les moyens de tenir. Mais elle doit désormais convaincre autrement. En livrant. En exécutant. En réajustant.
On l’a souvent présentée comme une entreprise hors de portée. Aujourd’hui, elle est rattrapée par les réalités d’un marché qui change vite, d’une concurrence qui s’est organisée, et d’une pression croissante sur la gouvernance.
Dans cet univers, rien n’est jamais figé. On disait X (ex-Twitter) fini. En 2024, la plateforme a retrouvé sa valorisation initiale de 44 milliards de dollars et renoue avec les bénéfices. Elle génère un EBITDA comparable à celui d’avant l’acquisition. Ce qui semblait irrécupérable est redevenu rentable.
La tech va vite. Ce n’est pas une vérité poétique. C’est une donnée structurelle. Et elle vaut pour tous, y compris pour Tesla.
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