En refaisant le film de ces derniers mois je ne peux m’empêcher, sans doute comme beaucoup d’entre vous, de repenser au chef-d’œuvre d’Albert Camus "La Peste" tant le calque de ce récit se superpose à notre réalité. Minimisation du danger du virus, confinement, attestation dérogatoire, port du masque, héros du quotidien luttant contre le virus ou encore privations de libertés fondamentales... de La Peste au Covid il n’y a qu’une page.
Mais surtout je ne cesse de me demander comment un organisme aussi minuscule - entre 60 et 140 nanomètres - a-t-il pu directement ou indirectement provoquer un effondrement sans précédent de l'activité économique mondiale; mettre le transport aérien quasiment à l'arrêt; creuser de manière spectaculaire le déficit public de la plupart des pays; contraindre au plus fort de la crise près 4,6 milliards d’êtres humains à rester chez eux ou à être soumis à des restrictions de déplacement; tuer plus de 4 millions de personnes dans le monde selon les chiffres officiels; déstabiliser les grands équilibres économiques et politiques du monde; exacerber les égoïsmes entre Etats; faire basculer des millions de familles dans l’extrême précarité; occasionner des dégâts sans précédent sur la scolarité de millions d’enfants (pour 168 millions d’enfants dans le monde, les écoles sont entièrement fermées depuis un an); plonger des dizaines de milliers d'étudiants dans la précarité; évaser un peu plus les failles des systèmes de santé de nombreux pays; ou encore creuser un peu plus les inégalités économiques entre femmes et hommes...
En réalité ce virus n’a été qu’un catalyseur, un révélateur de carences préexistantes. Il n’a fait que mettre en exergue le déclin de notre modèle social déjà chancelant, l’impréparation et la fébrilité de nos élites et les failles de notre modèle économique néo-libérale. Des tragédies à huis clos qui se sont déroulées dans les Ehpad à l’impossibilité de pouvoir enterrer nos morts jusqu’à la remise en question de certaines de nos libertés les plus fondamentales nous avons touché le fond ou presque. L’histoire de La Peste nous rappelle qu’ici ou ailleurs les populations les plus fragiles sont toujours les premières victimes des grandes pandémies mais aussi de nos égoïsmes. En Inde, aux Etats-Unis, en Europe, en Chine où encore en Afrique ce sont les personnes âgées, les personnes les plus modestes, les femmes ou encore les soignants qui ont payé le plus lourd tribut à cette crise sanitaire. Dans les pays en développement, 47 millions de femmes ont basculé sous le seuil de pauvreté en 2020 selon ONU Femmes, 115 000 professionnels de la santé ont été emportés par le coronavirus, selon l’OMS. « C’était une époque où chacun était si préoccupé de sa propre sécurité que la pitié pour la détresse d’autrui ne trouvait aucune place. » écrivait Albert Camus.
Alors à quoi ressemblera le monde d’après ? Certains l'attendent, d'autres le redoutent, difficile de prédire l'histoire alors qu'elle est en marche, difficile d'en parler tant les mots sont usés. Entre espoir d'un retour à la normale grâce aux vaccins et craintes d'éventuels effets secondaires redoutés par certains, le virus n'a que faire de nos querelles et trace progressivement et inéluctablement son chemin. Selon le Comité d’urgence de l’Organisation mondiale de la santé la probabilité de l’émergence de nouveaux variants du coronavirus, « possiblement plus dangereux » est bien réelle.
En attendant des jours meilleurs, il nous faut désormais reconstruire en mieux et apprendre de nos erreurs pour remettre dans les mains des générations futures un meilleur avenir. « Sauver des vies suppose que l’on sache donner un sens à la vie ; et que l’on connaisse le prix de la vie » écrivait Jean Starobinski. Pour beaucoup d’experts l'ère des pandémies ne fait que commencer. A la fin du livre de Camus le Docteur Rieux du haut de sa terrasse qui surplombe Oran jubile et célèbre la fin de l’épidémie mais ne se fait guerre d’illusion, il sait que l'histoire est tragique et que la peste reviendra...
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